.

.
Photographie de Hugo Latour

samedi 14 mai 2016

Laisser de l'espace pour la beauté



Laisser de l'espace pour la beauté

Kateri Lemmens et Kiev Renaud ont plusieurs points en commun : elles sont toutes deux détentrices d'un baccalauréat de l'université de Sherbrooke et d'une maîtrise de l'université Mcgill, ont publiés dans les revues Contre jour, Moebius en plus d'avoir toutes deux remporté Le Prix du Jeune Écrivain respectivement en 1990 et 2015.
Mais ce qui m'a le plus étonné c'est l'écho que ce font leurs ouvrages.
Les narrations de Retour à Sand Hill (2014) et de Je n'ai jamais embrassé Laure (2016) portent une délicatesse de la vérité qui c'était presque éteinte avec Duras. Une écriture fine qui montre les relations entre «des ruissellements, des surgissements, des rapprochements possibles entre l'idée, la forme, la chose la permanence de la chose, son inanité, la matière de l'idée, de la couleur, de la lumière, et Dieu sait quoi encore.» 1
Cette lumière, c'est celle de la rue aux couleurs si vives qui « s'embl[ent] jaillir hors des ténèbres »2 ou encore celle de ces mannequins dépourvus de pupilles et à la peau si blanche qu'il faut se « protéger [les] yeux de leur lumière. »3
Il y a cette volonté chez Lemmens et Renaud de voir au-delà de la vie ordinaire.
D'être un œil qui est à la fois « dedans dehors de la toile […] dehors dedans du noir et du blanc. »4
Quand l'un des deux ouvrages entrebâille une porte sur l'intimité, l'autre l'ouvre complètement :

Elle se retourne vers moi et lisse mes cheveux avec ses paumes, humidifie son index pour effacer une saleté sur ma joue. […] À mon tour, j'effleure sa joue. Elle touche le bout de mon nez; je pose mon pouce sur le sien. Elle bat des paupières; moi aussi. Je dilate les narines et mords l'intérieur de mes joues. Elle m'imite.
5
*****
Alba est venue poser ses lèvres sur les miennes. Elle m'embrassaient parfois comme ça, sans prévenir. À la fin, c'était devenu une habitude. L'hiver, son baiser réchauffait mes lèvres et mon corps, et c'était peut-être la seule raison qui la poussait à le faire et je ne savais jamais si c'était elle qui me volait un baiser, ou si c'était moi qui lui arrachais une part de chaleur.6

Cependant, les deux livres partagent aussi la même faiblesse : le manque d'espace laissé au texte.
Les idées sont prises en un bloc monolithique qui mériterait d'être fendu et aéré dans une mise en page proche de celle des recueils de poésie. Mais pour une telle mise en forme, il faut une écoute minutieuse de la voix des auteures et ça qui requière du temps.

Temps qu'il faudrait prendre, car Lemmens et Renaud ont cette capacité de replacer l'humain en face de l'immensité de la nature et du temps.
Une capacité qui manque souvent dans la littérature d'aujourd'hui.

Ouvrages cités
DURAS, Marguerite. (1993) Écrire, Paris, Gallimard
LEMMENS, Katerie. (2014) Retour à Sand Hill, Paris, La Valette éditeur.
RENAUD, Kiev. (2016) Je n'ai jamais embrassé Laure, Montréal, Leméac.

1Duras. p.123-124
2Lemmins. p.167
3Renaud. p.78.
4Lemmins. p. 24
5Renaud. p.24.

6Lemmens. p.79   


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire